sablier du printemps (7)

L’humanité se divise en deux camps bien distincts que tout oppose irrémédiablement. La ligne de fracture passe très précisément au milieu de la table de ma salle à manger…

C’est délirant, non ? Vous savez, tout ce qu’on nous apprend à l’école, en géographie! Et si c’était à prendre au mot !

Imaginez un peu. C’est le soir et vous dinez. Vous habitez au Brésil, au Gabon, ou à Sumatra. L’équateur passe dans votre salle à manger, au milieu de la table.

D’un côté, par la fenêtre, une fois la nuit tombée, vous voyez la croix du sud. De l’autre côté, sur la terrasse, vous admirez l’étoile polaire. A table, pour vous, c’est l’été. En face, pour votre conjoint, c’est l’hiver. D’un côté, vous avez la tête en haut, et trois pas plus loin, sans même faire le poirier, la tête en bas.

Vraiment le délire, non ?

Comment ça faut que je grandisse un peu ?

Bah, zêtes pas drôles…

sablier du printemps (6)

Ça y est enfin. Cela fait des semaines que je pense à ce moment. Comme le dit le dicton coréen, « le meilleur moment quand on fait l’amour, c’est quand on monte les escaliers ». Un bordel monstre règne dans et sur mon bureau. Rien à battre.

Après tout, le bureau, on n’y mettra sûrement pas les pieds. La chambre devrait suffire, or elle est rangée, et la cuisine à peu près propre puisque j’ai lavé la montagne de vaisselle qui s’accumulait dans l’évier hier : panne de tasse, or sans café, je ne suis rien.

J’ai rencontré Anna par hasard, à la machine à café, justement. Elle est intérimaire au boulot, et j’ai tout de suite craqué dessus. Pas franchement belle, mais attirante, un peu boudeuse, j’ai tout de suite eu envie d’elle.

Le proverbe, c’est Kim, du boulot aussi, qui me l’a sorti à propos d’une conférence quelconque qu’on devait faire. Moi, je l’ai bien retenu. J’adore ce proverbe. Moi, je le vis toujours au sens propre, jamais au figuré.

Encore une, diront à propos d’Anna ceux qui me connaissent bien, sans même faire l’effort de retenir son nom. Il est vrai qu’il ne la verront sûrement pas plus de deux ou trois fois. Moi, j’aime séduire. Après, je m’emmerde. Ce n’est pas ma faute. Je ne supporte pas les habitudes à deux, je n’accepte aucune brosse à dents dans mon verre à dent (exceptée la mienne, bien sûr), je déteste avoir à fermer la porte quand je pisse, et l’idée qu’on puisse m’appeler chéri, canard ou une autre débilité du genre me répugne. Alors mes relations sont en général assez courtes : quelques semaines pour séduire, puis enfin LE moment. Celui que je préfère. Celui ou enfin, on va se retrouver seuls chez moi. Ce moment, on le sent venir tous les deux, on en profite, on fait durer, jusqu’à ce que la tension soit palpable, jusqu’à ce que l’envie soit trop forte et que la précipitation l’emporte. A ce moment-là, alors, on fuit. Peut importe avec qui on est. Tant pis. Je l’entraine, on trouve au plus vite un taxi dans lequel on s’engoufre en riant bêtement. On se bécote avec retenue à cause du chauffeur, en riant toujours bêtement, on saute sur le trottoir en bas de chez moi sans même récupérer la monnaie.

Vient alors le moment que je préfère : la montée de l’escalier. A chaque fois, c’est la même chose. On monte, pressés mais ralentis par nos baisers, en se tripotant tout en essayant de ne pas faire trop de bruit. Surtout quand on passe devant la porte de ma voisine de dessous, qui ne supporte pas ce genre de scènes.

Faut dire qu’elle y a eu droit, elle aussi. Avec elle, pas de taxi ou de montée des marches (un étage, ça ne compte pas), mais j’ai aimé la séduire. Je l’ai larguée quand elle a commencé, à peine deux semaines plus tard, à imaginer nos appart transformés en duplex. Alors forcément, maintenant, quand je monte avec une autre, et qu’elle m’entend, elle sort sur le palier pour tenter de raconter notre histoire.

Heureusement, dans ces cas-là, ma Dulcinée du moment est trop occupée pour y faire attention, et un « Ne l’écoute pas c’est une vieille folle » arrange fort bien les choses, si l’on excepte mes relations de voisinage.

Ce soir, elle ne sort pas. Nous atteignons l’appart et entrons. Je ferme discrètement la porte du bureau. C’est vraiment le merdier! On s’en fout.

Anna est presque déjà nue quand on atteint mon lit. Elle se sauve, sûrement pour la sale de bain. Je me déshabille en vitesse et me glisse sous les draps pour l’attendre.

J’entends un cri. Puis quelques secondes après une porte qui claque. J’appelle Anna, pas de réponse. Je me lève. Plus aucune trace d’elle. Plus de vêtement dans le couloir, de chaussures jetées à l’entrée, mais la porte du bureau, à côté de la salle de bain, grande ouverte.

Lundi, je vais tôt au bureau. Plus tôt que d’habitude pour arriver avant Anna. Je me glisse dans son bureau et je comprends. Sur son bureau, un sous-main centré au millimètre près. Le clavier de l’ordinateur exactement parallèle au bord du bureau. A côté, un agenda posé perpendiculaire au clavier. Cette nana a une équerre dans l’oeil. Effrayant également, les stylos rangés par ordre de taille, contre le bord du sous-main. Toute la surface de son bureau est ainsi rangée. Les objets triés, classés, et seul l’angle droit est autorisé. J’en reste interdit quelques instant, puis m’approhe du bureau. J’hésite quelques minutes avant d’ouvrir le premier tiroir, puis le second. Je me précipite alors sur l’armoire que j’ouvre également. Et c’est le moment qu’Anna choisit pour entrer dans la pièce…

sablier du printemps (5)

Certains soirs, pour faire mon intéressant, il m’est arrivé de monter sur une chaise, de me draper dans un torchon à carreaux et de déclamer une poignée de vers avec des accès de lyrisme proportionnels à mon taux d’alcoolémie. Il s’agissait de l’extrait suivant : « C’est pas marqué dans les livres / Le plus important à vivre / C’est de vivre au jour le jour / Le temps c’est de l’amour ».

J’étais étudiant. Ca faisait rire les copains, les copines. C’est d’ailleurs un peu grace à ça que j’ai séduit Alice. Souvent, le WE, on se retrouvait dans un bar, ou chez l’un de nous, de préférence un qui avait un studio un peu plus grand que la plupart d’entre nous. On buvait, on refaisait le monde, et il y avait toujours un moment où je me retrouvais sur une chaise, un pouf, voire la table, et où je faisais mon petit numéro.

Au début, c’est vrai que j’avais mon petit succès. Et puis petit à petit, mes auditeurs ont eu l’air géné. C’est vrai que je déclamais les mêmes vers et que tout le monde, maintenant, les connaissaient aussi bien que moi. C’est vrai aussi que mon numéro était de plus en plus fréquent, et venait de plus en plus tôt dans la soirée. Souvent, même, Alice faisait la gueule.

Alors j’ai changé mon texte. J’essayais d’improviser, mais ça n’a pas changé grand chose. Peut-être que mes textes n’étaient pas bons. Pas ma faute si je ne suis pas poète, quand même. Alors j’ai fini par arrêter mon numéro. Alice n’a pas pour autant arrêté de faire la gueule. Elle disait que ce qui la dérangeait, ce n’était pas la poésie, mais l’alcool. Pour une petite murge de temps en temps, c’était abusé. Bon, d’accord, ce n’était pas de temps en temps, mais tous les vendredis et samedis.

Puis aussi quelques fois en semaine.

Alice dit que c’est de l’alcoolisme. N’importe quoi ! C’est pas quelques verres chaque jour et quelques cuites dans la semaine qui font d’un homme un alcoolique! Elle exagère un peu, quand même, Alice. Elle dit qu’elle aurait préféré que je garde la poésie et pas l’alcool, mais c’est pas ma faute, moi, si j’suis pas poète.

Et puis Alice est partie. Avec les jumeaux. Pourtant, ça faisait cinq ans qu’on était bien, tous les deux. Et mon petit numéro, elle l’avait bien aimé, au début.

Mais moi, Alice, je l’aime. Je ne veux pas qu’elle s’en aille.

C’est pour ça que je suis là, Docteur. Faut m’aider. Faut m’aider à arrêter l’alcool.

sablier du printemps (4)

Vous savez pas la dernière ? Il parait que j’ai un blog. Oui, oui, un de ces machins sur Internet où je raconte ma vie.

Comme si c’était mon truc. Comme si ça pouvait m’intéresser ! Franchement, quelle indécence. raconter ses pensées, sa vie intime à des milliers d’inconnus. Enfin, quand je dis des milliers, j’en doute fort. Je ne vois pas bien qui pourrait me lire, qui ça pourrait intéresser. A mon avis, personne.

Ou alors les psy, les sociologues, pour leurs études !

Raconter sa vie, se répandre comme ça ! N’importe quoi. C’est bon pour les fous qui vont chez les psy, ou alors les exhibitionnistes qui veulent qu’on les voit. Je ne mange pas de ce pain-là.

Quant à ceux qui disent qu’on s’y fait des amis, ridicule ! Comment voulez-vous être amis avec des gens qui se font appeler Ninog, Gromit ou Condorcee, franchement ? Ces gens, je ne sais pas qui ils sont. On n’a pas été présentées. Je ne les connais pas, moi. Alors de là à s’en faire des amis, il y a un monde !

Alors quand une collègue, l’autre jour, tout sourire, m’a lancé un « Il parait que tu as un blog! » ça m’a bien fait rigoler.

Non, je n’ai pas un blog!

J’en ai trois.

sablier

Les copains qui jouent aussi au sablier, ils trouvent tous des titres à leurs billets.

Forcément, sur les petit récapitulatifs de Kozlika, je fais tache.

Moi, les titres, je ne sais pas trop…

Peut-être que demain, j’essaierai.

Ou pas.

On verra.

sablier du printemps (3)

Il est trois heures du matin, je n’arrive pas à dormir. J’entends le bruit de la mer, des vagues qui s’écrasent contre la falaise en soupirant, en rongeant de leur larmes les pierres insensibles.

J’adore la mer. Avant d’habiter en Asie, j’y allais rarement. Mes premières années bangkokaises ne m’en avait pas beaucoup rapproché. Et puis nous avons eu ma fille, Ariane. Finis les treks en jungle, les vacances citadines avec 8 musées ou monuments par jour, au moins pour quelques mois. Un peu frustrés, nous sommes partis à la mer. Et c’était bien. Faut dire que pour ne pas aimer la mer des Adaman, faudrait quand même être un peu difficile.

Depuis, j’ai besoin de la mer régulièrement. Quand un breton me disait ça avant, je ne le comprenais pas vraiment. (C’est toujours les bretons, qui sortent des trucs du genre, jamais les auvergnats, allez savoir pourquoi.) Maintenant si.

Et un jour, il y a eu le tsunami. Je ne dis pas un tsunami, mais bien LE tsunami. Le grand. Je me sens un peu rescapée, depuis. Faut dire que nous aurions parfaitement pu faire partie des victimes. Nous avions longtemps hésité entre partir à Bali ou à Kho Phi Phi, où je rêvais d’aller depuis des années. Et puis au dernier moment, j’avais dit à Ramsès : « Kho Phi Phi à Noël, il va y avoir tous les parents d’élèves, allons à Bali ». Et donc, ce 26 décembre-là, à 9 heures du matin, quand la première vague est arrivée à Kho Phi Phi, nous étions sur la plage. Avec mes deux enfants. A Bali.

Le retour à BKK fût difficile. Une rentrée scolaire complètement à part. Avec accueil en cellule psy d’urgence pour certains, avec des absents dans les classes pour raisons inconnues, avec des familles vivantes mais traumatisées, avec des enseignants complètement choqués aussi. Pour chacun, un voisin, un ami, perdu à jamias dans l’eau. Certains ne pouvaient plus avaler de poissons, pour ne pas manger ces corps. Bref, l’horreur.

Depuis, j’aime toujours autant la mer. Mais je ne la regarde plus de la même façon. Et je n’y dors plus. Jamais. Je l’écoute, je me lève pour la regarder, j’étudie le chemin le plus rapide pour la fuir, j’imagine des milliers de scénario tous plus catastrophiques les uns que les autres.

Je sais que ce n’est pas rationnel, que je peux dormir, qu’une chose pareille n’arrive jamais, et surtout pas ici. Je sais qu’en haut de ces falaises, nous ne risquons rien. Mais je n’en dors pas mieux.

Chaque fois, les vacances à la mer me font un bien fou, me ressourcent, mais m’épuisent totalement.

sablier du printemps (2)

Il faut que je vous raconte… C’est une drôle d’histoire en fait, une histoire de brosses à dents ! Dingue !! En fait tout a commencé alors que j’étais chez B. toute la semaine dernière. Nous avions bien senti que quelque chose se tramait dans la salle de bain, et puis il fallait se rendre à l’évidence, il y avait des signes avant-coureurs qui ne trompent pas…

Les premiers signes, on ne les a repéré que plus tard. Oui, il y avait bien eu un rouleau de papier toilette qui, dès le premier jour, s’était terminé seul alors que nous nagions dans le lagon. On avait aussi trouvé des miettes, dans la salle de bain, alors que ce n’est franchement pas l’endrot où l’on grignote. Mais on a vraiment réagi à cause des brosses à dents. C’était vraiment incroyables. Tous les soirs, nous les rangions dans deux verres à dents, et tous les matins, nous le retrouvions dans le même. L’erreur était possible une fois, mais pas quatre soirs de suite.

C’est là que nous avons vraiment réalisé la situation. Nous n’étions pas seuls chez B. Sur son bateau, avec nous, et alors que nous comptions aborder en Polynésie française, nous abritions un clandestin.

sablier du printemps (1)

Maintenant que l’affaire est médiatisée, que non seulement les sites internet, mais aussi la radio et la télé parlent de l’affaire, je me sens plus libre d’en parler.

J’ai eu tort, je le reconnais. Mais ce qui aurait été pis comme pour une blague un peu bête entre amis a pris des proportions que je n’imaginais pas. Tout cela à cause de sa célébrité, de son poste. Même mon avocat, peu optimiste, m’a prévenue.

Certes, je n’aurais pas dû. Je le regrette, maintenant. Mais ça fait des années que j’occupe ce poste de lingère, et depuis l’arrivée du nouveau patron, jamais je n’ai été aussi peu considérée. Il y a bien longtemps, le patron, on le voyait, parfois. Il disait bonjour. Le nouveau ne nous voit pas. Pour lui, nous n’existons pas. Je ne sais même pas s’il sait combien nous sommes à travailler ici, ni qui nous sommes, ce que nous faisons.

Alors bien sûr, on est amers. et quand j’ai trouvé son portable allumé, oublié dans la poche de sa chemise sale, je n’ai pas pu m’en empêcher.

J’ai pianoté dessus, et au milieu de tous ces noms que je ne connaissait pas, ou alors à peine, j’ai vu Cécilia. Sans réfléchir, j’ai tapé le SMS. Comment pouvais-je savoir qu’un journaliste le saurait ? Comment pouvais-je imaginer les conséquences que ça aurait, les proportions que ça prendrait.

Quand le journaliste a été embêté, j’étais vraiment gênée. J’ai pensé me dénoncer. Mais je me suis dit qu’il pouvait mieux se défendre que moi. Il est instruit, lui. Et j’avais vraiment besoin de ma place. Je ne voulais pas la perdre. Quand le patron a retiré sa plainte, j’ai été soulagée. Je pensais que ça s’arrêtrait là, que toute cette histoire était finie. Je ne sais pas comment il sont arrivés jusqu’à moi, comment ils ont su. Je n’en ai jamais parlé à personne. J’ai remis le portable sur un meuble près de son bureau, je pense que peut-être, quelqu’un m’a vue.

En tout cas, maintenant, je suis en garde à vue. ils veulent savoir ce que j’ai fait d’autre avec le portable. Mais rien. Mon avocat dit qu’on parle de moi partout, sur Internet, dans les journaux. Alors moi aussi, je veux parler. Après tout, c’est moi qui sais le mieux comment ça c’est passé.

pas de Paques

Pas de chasse aux oeufs cette année. Pas eu le temps, pas d’oeufs, ni poule, ni lapin…

Un peu triste tout ça.

J’espèrais qu’Ariane oublierait que c’est Paques, mais elle y a pensé. Chance, elle n’a pas fait d’histoire.

Une autre fois, peut-être…

sablier

Chouette, le sablier a été retourné. Et ça commence ce soir. Donc demain dans l’urgence pour moi… Un peu rude cette semaine où l’on a des potes à la maison, les livrets d’évaluation de mes élèves à rendre, et des chants difficiles pour la chorale à bosser, mais bon. Ravie de m’y remettre.

Première étape : me lever 10 minutes plus tôt demain pour avoir le temps de relever l’amorce.