Ça y est enfin. Cela fait des semaines que je pense à ce moment. Comme le dit le dicton coréen, « le meilleur moment quand on fait l’amour, c’est quand on monte les escaliers ». Un bordel monstre règne dans et sur mon bureau. Rien à battre.
Après tout, le bureau, on n’y mettra sûrement pas les pieds. La chambre devrait suffire, or elle est rangée, et la cuisine à peu près propre puisque j’ai lavé la montagne de vaisselle qui s’accumulait dans l’évier hier : panne de tasse, or sans café, je ne suis rien.
J’ai rencontré Anna par hasard, à la machine à café, justement. Elle est intérimaire au boulot, et j’ai tout de suite craqué dessus. Pas franchement belle, mais attirante, un peu boudeuse, j’ai tout de suite eu envie d’elle.
Le proverbe, c’est Kim, du boulot aussi, qui me l’a sorti à propos d’une conférence quelconque qu’on devait faire. Moi, je l’ai bien retenu. J’adore ce proverbe. Moi, je le vis toujours au sens propre, jamais au figuré.
Encore une, diront à propos d’Anna ceux qui me connaissent bien, sans même faire l’effort de retenir son nom. Il est vrai qu’il ne la verront sûrement pas plus de deux ou trois fois. Moi, j’aime séduire. Après, je m’emmerde. Ce n’est pas ma faute. Je ne supporte pas les habitudes à deux, je n’accepte aucune brosse à dents dans mon verre à dent (exceptée la mienne, bien sûr), je déteste avoir à fermer la porte quand je pisse, et l’idée qu’on puisse m’appeler chéri, canard ou une autre débilité du genre me répugne. Alors mes relations sont en général assez courtes : quelques semaines pour séduire, puis enfin LE moment. Celui que je préfère. Celui ou enfin, on va se retrouver seuls chez moi. Ce moment, on le sent venir tous les deux, on en profite, on fait durer, jusqu’à ce que la tension soit palpable, jusqu’à ce que l’envie soit trop forte et que la précipitation l’emporte. A ce moment-là, alors, on fuit. Peut importe avec qui on est. Tant pis. Je l’entraine, on trouve au plus vite un taxi dans lequel on s’engoufre en riant bêtement. On se bécote avec retenue à cause du chauffeur, en riant toujours bêtement, on saute sur le trottoir en bas de chez moi sans même récupérer la monnaie.
Vient alors le moment que je préfère : la montée de l’escalier. A chaque fois, c’est la même chose. On monte, pressés mais ralentis par nos baisers, en se tripotant tout en essayant de ne pas faire trop de bruit. Surtout quand on passe devant la porte de ma voisine de dessous, qui ne supporte pas ce genre de scènes.
Faut dire qu’elle y a eu droit, elle aussi. Avec elle, pas de taxi ou de montée des marches (un étage, ça ne compte pas), mais j’ai aimé la séduire. Je l’ai larguée quand elle a commencé, à peine deux semaines plus tard, à imaginer nos appart transformés en duplex. Alors forcément, maintenant, quand je monte avec une autre, et qu’elle m’entend, elle sort sur le palier pour tenter de raconter notre histoire.
Heureusement, dans ces cas-là, ma Dulcinée du moment est trop occupée pour y faire attention, et un « Ne l’écoute pas c’est une vieille folle » arrange fort bien les choses, si l’on excepte mes relations de voisinage.
Ce soir, elle ne sort pas. Nous atteignons l’appart et entrons. Je ferme discrètement la porte du bureau. C’est vraiment le merdier! On s’en fout.
Anna est presque déjà nue quand on atteint mon lit. Elle se sauve, sûrement pour la sale de bain. Je me déshabille en vitesse et me glisse sous les draps pour l’attendre.
J’entends un cri. Puis quelques secondes après une porte qui claque. J’appelle Anna, pas de réponse. Je me lève. Plus aucune trace d’elle. Plus de vêtement dans le couloir, de chaussures jetées à l’entrée, mais la porte du bureau, à côté de la salle de bain, grande ouverte.
Lundi, je vais tôt au bureau. Plus tôt que d’habitude pour arriver avant Anna. Je me glisse dans son bureau et je comprends. Sur son bureau, un sous-main centré au millimètre près. Le clavier de l’ordinateur exactement parallèle au bord du bureau. A côté, un agenda posé perpendiculaire au clavier. Cette nana a une équerre dans l’oeil. Effrayant également, les stylos rangés par ordre de taille, contre le bord du sous-main. Toute la surface de son bureau est ainsi rangée. Les objets triés, classés, et seul l’angle droit est autorisé. J’en reste interdit quelques instant, puis m’approhe du bureau. J’hésite quelques minutes avant d’ouvrir le premier tiroir, puis le second. Je me précipite alors sur l’armoire que j’ouvre également. Et c’est le moment qu’Anna choisit pour entrer dans la pièce…